Prix Antigone 2000
Joan-Claudi Forêt
aime le hasard
Comme Escartefigues, Jean-Claude Forêt est né à Lyon. Là, s’arrêtera la comparaison, car si le héros de Pagnol « descend à Marseille, le lauréat du Prix Antigone en langue occitane est monté à Chamonix où pendant 17 ans il s’est passionné pour la Montagne. Il y a écrit son premier roman en français. Rencontre avec un auteur occitan, qui joue avec les langues, les nombres et le hasard.
RENCONTRE étrange en Haut Vivarais : « dans une ferme, des amis de copains parlaient entre eux sur le territoire français, une autre langue que le français. » Joan-Claudi Forêt a 17 ans, natif de la Croix rousse à Lyon, cette première rencontre avec l’occitan produit en lui « une pure indignation. » Une graine semée par un grand-père espérantiste, pousse alors dans ce décor du centre de la France, « la curiosité pour les langues. »
Il a tout oublié de « cette utopie » rencontrée à l’âge de 9 ans, avec les versions de La Fontaine et de Mao en espéranto, il se souvient cependant qu’il s’en est alors servi comme outil de connivence avec son frère, « ce qui devait nous servir à comprendre l’autre, nous servait à nous cacher des autres ».
Présence de l’autre chez nous
L’occitan lui apparaît au contraire comme la présence de l’autre chez nous. Il y avait « étrangeté radicale sur notre territoire même. » Cette étrangeté française, Jean-Claude Forêt tient à la faire vivre « dans un pays pluri-éthnique, dans sa diversité. »
Ainsi après une enquête linguistique en Ardèche, « J’y ai appris l’ardéchois dans les fermes, je m’y échapperai tant que sa continuité sera assurée par des individus là -haut. Le languedocien, je l’ai appris dans les livres. Je ne suis pas un héritier de la langue mais j’ai choisi cette langue et les terres du sud que j’adore viscéralement. C’est mon pays, mon choix, je n’ai jamais eu envie de vivre à Lyon. Ma démarche envers la langue est celle de tout occitan, je ne l’ai pas appris comme on apprend une langue étrangère. »
Vallée perdue
Appris et bien appris puisqu’en plus du français il l’enseigne aujourd’hui au Collège Clémenceau et une demi-journée par semaine à L’Université Paul Valéry.
Ce passionné, ne l’est pas que d’Occitanie et de langues, il l’est aussi de montagne et de ski alpin, et pendant son séjour à Chamonix, il y a consacré son premier roman « La Vallée perdue », écrit en français en 1987.
Son second recueil était déjà dédié à l’Occitan et au Hasard, puisqu’il s’agissait de « La Peire d’azard », la Pierre de hasard, première série de nouvelles.
Second recueil de nouvelles, « Lo Libre dels Grands nombres o falses e us de fals » paru chez « Los Llibres del Trabucaïre »vient d’obtenir de prix de la Ville de Montpellier, Prix Antigone.
« Je tenais à ce qu’il paraisse entièrement en Occitan. L’état d’achèvement des huit nouvelles est l’occitan, même si elles ont été écrites directement ou traduites. », explique leur auteur.
Et voilà que commence le jeu, celui des points communs aux huit textes, « hasard, nombre et temps. »
Hasard, nombre et temps
Joan-Claudi Forêt s’était déjà intéressé au hasard lors de son premier recueil « La Pèira d’asard. »D’un point de vue mathématique et philosophique. « Je suis un mathématicien frustré et pour moi les maths, sont comme les sciences occultes, des territoires obscurs, inexplorés, fictifs. » Peut-être ce manque vient-il de ce grand-père, qui poursuivant sa martingale à la roulette a tout flambé, et lui a inspiré « Casino royal » ?
Autre énigme, le temps qui s’écoule, et dans lequel chaque personnage va essayer de donner un sens à sa vie, hors religion ou théorie, essayant de décripter les énigmes à la façon d’Edgard Poë.
Et le jeu de hasard va se transporter là, de la table de casino, à l’écriture et au sonnet manuscrit de Guilhaume Saluste de Barthas.et à ses 14 prémices qui rendent difficile la résolution de la sorite, sorte de syllogisme, l’écrivain joue, appliquant la méthode du Révérend Charles Dodgson, ( Léwis Carol), « je joue avec la langue, dans un rapport érotique à elle, avec la volonté d’explorer de cette façon le réel. »
Il joue avec le langage, puis avec les versions, traductions de poésie, leur situation dans le temps et l’espace, les plaisirs de la vie et les plaisirs « purement » intellectuels.
« A Chamonix, j’ai appris de nombreuses langues, Italien, Catalan, grec… Dans une des nouvelles j’invente un poète grec qui vit au 20e siècle et dont un personnage ne sait pas qu’il a traduit le Lac de Lamartine… » Et ainsi on passe du grec, à l’occitan, au français…
Autres lieux, ou retour aux Haut-Plateaux au-dessus de la canourgue, où « trois paysans imaginaires, se servent d’un système de numération de base 17. Quand ils auront disparu le monde se sera appauvrit d’une diversité . En fait, je suis très angoissé par la mondialisation de la culture, et la normalisation de celle-ci. »
Incitation à continuer
Aux marges de l’Occitanie, le Nord Vivarais reste différent du Bas-Languedoc où l’enfant adopté de sa langue va recevoir ainsi que son éditeur « Llibres del Trabucaïre », une consécration, « c’est surtout, et avant tout une incitation à continuer à écrire sans se décourager. » Et ceci avec une modernité de sujets et de lieux qui est bien loin de la nostalgie dont on parle quand on parle d’écrivains d’oc, l’occitan étant ici une « langue d’innovation et de création », en toute liberté.
Rose BLIN-MIOCH
« Lo Libre dels grands nombres o falses et us de fals » collection « Pròsa occitana », animée par Felip Gardy , 100 F